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 - Aventure .::. Roman - L'Imposteur

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Sophia
plume neuve et page blanche
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Sophia


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MessageSujet: - Aventure .::. Roman - L'Imposteur   - Aventure .::. Roman - L'Imposteur Icon_minitimeDim 2 Jan - 14:03

Bonjour à tous !

Voila j'ai choisi de poster quelques chapitres du premier tome de ma trilogie Complots & Vengeances de Rome, une fiction se déroulant en 190 ap. J-C, relatant les aventures de Sophia. Et comme c'est la fille d'un empereur, forcément, les histoires de famille, c'est compliqué ! Mais je vous laisse découvrir. Le style, malgré l'époque, est moderne et c'est mon choix. Revisitons l'antiquité avec une touche de modernité.

Vous avez droit en exclusivité à la toute dernière version du premier chapitre. Du tout frais ^^ Bref je n'en dis pas plus. Qu'on lève le rideau !

Commentaires ici


L'Imposteur

ROULEAU I

    1er Mars 190, Rome.
    Les moments de distractions dont nous sommes souvent l’objet semblent constitués d’une fragile tranquillité, si mince qu’elle paraît insignifiante.
    Fallait-il donc que le destin m’en veuille profondément pour me tirer de mes rêves de lecture ? A chaque fois que je croyais avoir la paix, on devait me rappeler à la dure réalité. Il en était de même pour cette fois ci.
    Des coups secs sur la porte me firent brusquement sursauter ; j’en lâchais presque le pauvre Virgile que j’étudiais. Le cœur battant à tout rompre, je levai le nez des parchemins, me questionnant sur l’identité de mon – presque – meurtrier, mais Shéba, l’adorable panthère encore ensommeillée le fit pour moi : sa jolie tête de peluche se redressa, pointa en direction de l’objet de toutes nos attentions et se reposa sur ses pattes de velours en ronronnant – peut être un début de ronflement.
    Malheureusement pour le félin, et heureusement pour moi, ce n’était pas quelqu’un aux intentions mauvaises. Alors autant lui ouvrir aimablement.
    Ah, je vous vois juste venir avec « Shéba » : qu’est ce que ce nom ridicule pour une panthère ? Pourquoi ne pas l’avoir nommée « Pompon », « Patapon » ou tout autre dénomination encore plus grotesque attribuée aux chats ? Shéba, c’était juste une abréviation. Saturnum Hecatombe Barbarum, je trouvais cela trop long et trop compliqué à prononcer, surtout en cas de situation désespérée.
    Ma seconde crise cardiaque, liée à un autre tambourinement, plus fort cette fois, ainsi qu’une voix familière scandant un « Sophia ! » agacé, me sortit de cette petite divagation. D’après l’intonation, le bonhomme en avait assez d’attendre bêtement là derrière… oups. Si j’avais su que c’était mon père…
    Je sautai sur mes pieds afin de lui ouvrir dignement le sujet du problème. J’avais à peine frôlé la poignée de bronze sculpté que la porte s’actionna toute seule, se projetant vers moi de toute sa masse boisée.
    Mon nez en pâtit. Mon père s’en esclaffa.
    Jetant un regard noir à l’Empereur qui se dressait, hilare malgré lui, devant ma personne déconfite et vexée, je grommelai quelques mots ressemblant à un « Qu’est-ce qu'y a ? » peu diplomatique.
    Marcus Julius – le nom de mon paternel – cessa de rire mais garda ce qui semblait être un sourire moqueur, qu’il tentait de cacher. Cela faisait dix ans qu’il supportait la lourdeur de son pouvoir et tenait les rênes de l’immense et puissant empire que mon grand-père lui avait gentiment légué, accaparé du titre d’Auguste et du surnom Maximus, mais il n’avait pas perdu de sa fougue ni de son humeur changeante.
    De haute stature, il dépassait largement ses confrères citoyens romains, et ô combien de nobles et respectueuses matrones s’étaient effondrées devant ce regard vif et intense de vitalité, variant de la glace à la lave bouillonnante, pouvant alors s’écrier devant leurs amies jalouses : « Il m’a regardée ! ». Eh oui, c’était un Empereur séducteur aux épis bruns cuivrés en guise de tignasse et à la virilité militaire du soldat qu’il avait été, et il ne se rendait pas souvent compte de ce pouvoir de feu… à moins qu’il l’ignorât de son arrogance légendaire.
    Il jeta un rapide coup d’œil à Shéba qui ronronna de plus belle en le voyant – pas de doute, elle l’adorait ! – puis en profita pour lancer un regard circulaire au décor et aux rouleaux qui s’empilaient dangereusement sur la table. Il ne se priva d’ailleurs d’en faire la remarque en maugréant :
    - C’est un vrai merd… chantier ce bureau. Tu pourrais au moins ranger quand tu as fini de lire ! Ou laisser les esclaves le faire, on ne peut plus marcher sans risquer de se casser la figure, ici.
    Voilà, c’était une tirade typique de Maximus, pleine de sarcasme et de grossièretés rattrapées. Mais je l’aimais comme il était, ça le rendait encore plus unique…
    Je n’hésitai pas à rétorquer tout en vérifiant que mon pauvre nez n’avait rien de fâcheux :
    - J’ai eu droit à deux arrêts cardiaques et un nez cassé pour entendre ça ?
    - Pas seulement, non, fit-il sans sourciller. C’est l’heure de mordre le sable.
    - Pardon ? Ah, l’entraînement. Je m’équipe et te rejoins ; pendant ce temps, prépare-toi à la défaite.
    - Bien sûr.
    L’échange de piques était quelque chose de fondamentalement naturel entre nous. Pour lui, c’était une activité de détente, pour moi, c’était une habitude ; j’étais d’ailleurs la seule à pouvoir lui tenir tête de cette façon sans me faire étriper, en évitant toutefois de franchir les limites de la moquerie sympathique.
    Mon père n’avait pas bougé d’un pouce. Peut être n’avait-il pas compris qu’en disant « m’équiper » il fallait comprendre « me changer ». Donc enlever ma tunique de soie pour en prendre une en lin. Je me raclai la gorge pour le faire revenir sur terre ; il me lança un regard interrogatif. Exaspérée, je levai les yeux au plafond tout en lui demandant de sortir.
    - Ah ? fit-il en franchissant le pas de la porte. Désolé, je pensais que…
    - Que quoi ?
    - Rien.
    Il disparut en ricanant.
    Mordre le sable était une expression pour éviter de dire brandir le fer. Evidemment, nous ne nous amusions pas à manger du sable – seulement dans vos rêves – mais les crocs-en-jambe, chutes et autres tricheries visant à nous retrouver par terre étaient fréquents. En effet, l’Empereur avait, de sa propre initiative, choisi de devenir mon précepteur dans toutes les disciplines physiques et intellectuelles, ce qui, entre nous, ne plaisait pas à grand monde. Une fille qui apprend à manier le glaive et l’arc ? Une fille qui monte à cheval ? Une fille qui étudie les grands rhéteurs et la politique ? Absurde, voyons ! Quelle idée ! Mais mon père n’avait cure de ces commentaires.
    Discrètement, il m’emmenait au Sénat, me faisant assister, entre les ombres des hautes colonnes de marbre, aux réunions curiales. Quand l’envie lui prenait et qu’il en avait assez de la solitude de son bureau, il m’y conviait pour me donner un peu de travail divers, me donnant des instructions claires, nettes et précises. En gros, il m’apprenait à administrer un empire immense que je n’étais pas sensée diriger un jour.
    Des rumeurs couraient souvent sur l’état mental de mon père. On disait qu’il était fou, qu’il confondait sa fille avec un garçon, comme il n’avait pas d’héritier mâle. Ce n’étaient que des sottises, il était parfaitement conscient de ce qu’il faisait ! Et… avouons que ça me plaisait bien.
    Sur ces belles pensées, j’enfilai ma légère armure de cuir souple et des protections à mes poignets. J’en profitai pour m’attacher les cheveux tout en recherchant des yeux le glaive que j’avais posé la veille sur son socle de bronze. Je m’en emparai avant de rejoindre Maximus.
    Pourquoi le glaive ? C’était une lame un peu large et encombrante, il est vrai, alors qu’une dague était discrète et pouvait également causer du dégât. Sauf que l’épée était infiniment plus pratique quand on se faisait attaquer par un groupe, simple question de SBE – Sécurité Basique Elémentaire.
    Maximus m’avait patiemment attendue, pour une fois.
    Nous traversâmes ensemble le palais impérial, les hauts couloirs bordés de colonnes froides avec, de temps à autre, une vue sur Rome ou sur les jardins de la Domus Augustana. Nous sortîmes de cette dernière pour nous diriger vers le stade, lieu ou nous nous battions quotidiennement. Les deux gardes prétoriens en faction nous laissèrent rentrer après un salut militaire à l’intention de l’Empereur et d’une révérence… tout aussi militaire, qui m’était destinée.
    Le stade, plutôt grand, était entouré de colonnes de style dorique et quelques arbres d’agrément offraient leur ombre rafraîchissante au fond. Mais ce n’était pas le moment de rêvasser ; Maximus n’avait pas pour habitude d’attendre et il se dirigeait déjà au centre de l’Arène, comme il m’arrivait occasionnellement de l’appeler.
    Il s’arrêta, s’agenouilla avec un mince sourire aux lèvres, ramassa une poignée de sable et contempla les minuscules grains tomber telle une cascade artificielle de ses appartements. Ceci fait, il se releva lentement, effectua un infime mouvement du poignet qui fit tournoyer sa lame vibrante. Je détendis tous mes muscles sans pour autant relâcher mon attention et ma respiration ralentit. Seul mon bras tenant mon glaive était tendu.
    Mon père me regarda un instant dans les yeux.
    Puis le sable jaillit et m’aveugla. Je toussotai en essayant de reprendre mes repères. Le premier coup de lame fusa en un éclair et je l’évitai au dernier moment. Ah, le traître ! L’infâme tricheur ! Il allait me payer cet affront ! Et cher !
    Je crachai un grain de sable en effectuant une parade de mon invention et je l’attaquai avec rage. Les lames de fer s’entrechoquèrent en une détonation sonore qui résonna dans tout le stade. Mon père avait toujours le même sourire, mais avec un rictus dû à l’effort. Il évita facilement mon glaive et répliqua.
    Il était super rapide et devait respirer la forme aujourd'hui.
    Mais ce n’était pas cela qui allait me faire abandonner. Ce tricheur allait devoir payer, je me l’étais juré, par Minerve !
    Nous donnions coup sur coup, sans se soucier de la fatigue qui pointait le bout de son nez ; chacun était concentré sur les gestes de l’autre, inventant sans cesse de nouvelles attaques, paradant et rusant sans interruption.
    Tout à coup, je heurtai une pierre et, surprise, trébuchai. Et m… flûte. A chaque fois, il y avait autre chose. Mais qui avait mis un caillou à cet endroit, juste avant notre arrivée ? Qui ? La colonne d’en face, peut être ?
    Je grommelai entre les dents et évitai de justesse l’épée de Maximus qui aurait pu me couper habilement la tête… Je roulai sur le côté en prenant soin à me protéger de ma propre lame puis, avec un effort hors du commun, je me stabilisai sur mes pieds, me relevant d’un bond. Entre temps, j’avais fait un – petit ? – croc-en-jambe à mon père. Il perdit l’équilibre à mon entière satisfaction.
    J’en profitai, non sans un sourire triomphal, pour empêcher Maximus de se relever en mettant un pied sur son torse et en pointant mon glaive à deux doigts de son nez.
    Il avait payé son dû. Il avait mordu la poussière, pour la première fois de toute son… depuis qu’il était mon instructeur en tout cas.
    Surpris de sa défaite, lui si habitué à gagner, il souffla un unique mot dévastateur :
    - Merde…
    - Qu’entends-je ? fis-je, goguenarde.
    - Rien du tout, rétorqua-t-il.
    - Ben voyons.
    Il ignora ma remarque et roula sur le côté, me déstabilisant. Il se releva aussitôt et se frotta les mains.
    Il déclara après un moment de silence :
    - Bon, ça c’est fait. Il se trouve que j’ai rempli mon contrat avec moi même. Tu sais te défendre. Tricher. Ruser. Parader. Attaquer. Gagner.
    - Tu parles de quoi ? demandai-je, perdue dans son énumération de critères.
    - Tu n’as plus besoin de moi. Tu pourras te protéger sans mon ombre inquiétante.
    - Mais… il n’y aura plus de joutes ? Plus d’entraînement ? Plus rien ?
    Il me contempla un instant, me laissant dans le doute persistant et dans l’inquiétude grandissante, puis il répliqua :
    - Si, bien sûr. Il y aura essentiellement du perfectionnement au programme et quelques trucs de champion, qui ne ratent jamais.
    Il avait ajouté cela d’un air innocent. J’eus un sourire affectueux pour mon géniteur. Le pauvre… il devait être affreusement vexé. Il avait horreur de perdre.
    Il me rappela que rien n’était terminé. Nous devions faire le même exercice, mais à cheval. Nous allâmes les chercher à l’écurie ; ceux-ci étaient déjà prêts. Je pris la bride d’Achille, un étalon bai gentil comme tout.

    C’était injuste. Il ne faisait que tricher, aujourd’hui, alors que je n’avais rien fait de mal. J’explique : juste après l’échauffement des montures, nous avions donné les premiers coups, comme d’habitude. Au bout d’un moment, tandis que j’effectuais un mouvement assez complexe, Maximus m’avait poussée et renversée de mon cheval. Alors, forcément, je m’étais à nouveau retrouvée à terre ; je n’avais pas eu le temps de me relever que déjà la lame froide et métallique de Maximus menaçait de me trancher la gorge.
    Et là, j’étais assise par terre en sentant ce machin froid me toucher la nuque.
    - Ça va pas la tête ? T’aurais pu me casser quelque chose !
    - Tu sais quoi ?
    - Non, vas-y, grommelai-je.
    - Sur le champ de bataille, les adversaires n’ont qu’une intention : te tuer. Donc je présume qu’ils en ont fichtrement rien à faire s’ils trichent ou non.
    Je haussai les épaules. Y m’énerve… De toute façon je n’irais jamais sur un quelconque champ de bataille.
    Nous ramenâmes les chevaux à l’écurie et nous les nettoyâmes nous-mêmes. Tout en les décrassant, Maximus soupira et déclara :
    - Par tous les dieux… dans deux jours, tu auras tes quinze ans. Le temps passe si vite ! J’ai l’impression que Saturne ne fait que me rapprocher du moment inexorable de la vieillesse et du bûcher funèbre.
    - Ne dis pas ça, s’il te plaît, suppliai-je. Mes deux cousines, Aurelia et Apolina… elles seront là, je suppose ?
    - Malheureusement, oui…
    Je ne relevai pas son commentaire désobligeant.
    Mes cousines… à nous trois, nous étions pires que les foudres de Jupiter. Nous étions, par le passé, une sacrée bande de pestes. Mais de gentilles filles quand même. Et Aurelia avait la même ironie moqueuse que mon père, bizarrement.
    Elle était la fille de mon oncle Commode, le fils de Marc-Aurèle. L’oncle avait, une fois, tenté de la tuer. A vrai dire, il avait essayé de tuer mon père et ma cousine. Et, à ce qu’il paraissait, il avait même assassiné son propre père. Génial, je faisais partie d’une famille de déments…
    Aurelia excellait au tir à l’arc. Et elle adorait la baston…
    Apolina, quant à elle, était la fille unique de Tiberia, une sœur de ma mère. Son père était un général décédé – et un ami de Maximus par la même occasion. C’était la plus sérieuse de la bande. Son seul problème était qu’elle primait la diplomatie et qu’elle détestait brandir le fer. Seulement, les Germains, les Barbares, bref, les ennemis mortels de Rome, ne l’entendaient pas vraiment de cette oreille ; ils désiraient des terres, alors la diplomatie… ils se la mettaient la où je pensais.
    C’étaient mes seules amies, alors j’étais contente qu’elles viennent ; je me sentais seule lorsque les entraînements étaient terminés, Maximus avait toujours quelque chose à faire et était obligé de s’absenter, bien souvent à contrecœur. Pendant ce temps, j’errais dans les couloirs, solitaire, tel un fantôme. Je ne pouvais sortir du palais sans avoir quatre soldats collés à mes sandales, alors pour se faire des amis dans Rome, bonne chance !
    Apolina rentrait de Germanie. Elle était allée chercher Aurelia en cour de route car cette dernière logeait à la Villa Hadriana depuis que son père l’avait un peu étranglée. Elles resteraient toutes deux au palais au moins trois mois. En même temps, cela me ferait quelques vacances.
    Nous rentrâmes au palais et nous séparâmes ; mon père avait encore une réunion sur je ne savais trop quoi. Je rejoignis mes appartements et repartis presque aussitôt pour mon rituel des bains.
    Après m’être décrassée, nettoyée, parfumée, rhabillée et j’en passe, je retournai à mon bureau par la cour intérieure. Shéba m’attendait en ronflant. Fallait toujours qu’elle s’endorme à un moment ou à un autre… j’en profitai alors pour la réveiller en lui chatouillant les flans. Elle ne tarda pas à ouvrir les yeux et à feuler d’agacement, avec toutefois une lueur d’amusement dans les pupilles. Elle se retourna et frôla mon visage d’une de ses pattes de velours ; j’éclatai alors de rire.
    Je me relevai et tombai face à face avec mon reflet dans le grand miroir de la coiffeuse. Je ne savais que penser de moi… je tenais de mon père, c’était certain. Rien que pour l’éclat de mes yeux et les reflets cuivrés de mes cheveux bruns. J’avais son nez droit, ses oreilles rondes, sa mâchoire légèrement carrée et ses sourcils arqués. Pour le reste, disait-il, je le tenais de ma mère, Lucilla.
    Si je devais me résumer, cela donnerait à peu près ça : Sophia, fille de l’Empereur, toujours sans mari, à l’allure très sympa mais avec un caractère de chien. Peut se révéler aussi chiante que sa gentille panthère Shéba – et ce n’était pas peu dire. Ajoutons aussi que j’étais une vraie furie si jamais quelqu’un osait venir m’embêter.
    Shéba se frotta contre moi et je lui caressai la tête en souriant.
    Après cette séance de gros câlins, je me décidai, avec un sourire, à ranger tous les rouleaux que j’avais lus, ne serait-ce pour ne pas vexer mon père… très susceptible. En effet, il n’était pas seulement connu et reconnu pour son charme dévastateur. Il avait aussi la faculté de s’énerver pour un rien et de hurler pendant des heures et des heures, et de tout casser autour de lui. Heureusement, on l’avait toujours arrêté juste avant qu’il ne commence à descendre les gens qui se trouvaient dans les parages.
    J’avais juste placé le dernier rouleau de papyrus dans la bibliothèque qu’un esclave entra et me prévint qu’il était l’heure de la Cena. Je jetai un regard amusé à Shéba qui m’avait regardée faire sans cesse des allers et venues, vu que je ne trouvais pas forcément tout, tout de suite.
    Accompagnée de ma panthère, je rejoignis mon père au triclinium. Celui-ci était déjà installé sur une banquette et ne m’avait pas attendue pour savourer une coupe de vin du sud de l’Italie… ah, les hommes !
    Je me laissai tomber sur la banquette en face de lui et me servis un verre de jus d’orange et de mangue. Les plats ne tardèrent pas à arriver et mon estomac fut comblé. En effet, ce dernier n’hésitait pas à rappeler ses droits à la nourriture. Il y avait de quoi se restaurer : de bonnes cuisses de poulet rôti, accompagnées de pois et d’un arrière goût d’huile d’olive. Miam, miam !
    Nous allions passer au dessert lorsqu’un esclave entra et annonça :
    - Deux invités sont arrivés, Maître. Dois-je les faire entrer ?
    - Oui, évidemment.
    Bizarre, nous n’attendions personne pour dîner, que je sache ! Du moins, c’était ce qu’il m’avait dit !
    L’esclave sortit et revint accompagné de mes cousines. C’étaient bien les dernières personnes que j’aurais pensé voir ce soir. Pourtant, elles arrivaient toujours quelques jours avant mon anniversaire.
    Un grand sourire éclaira mon visage et j’accourus vers elles en lâchant presque un « Youpiii ! » complètement inutile. Nous nous saluâmes et nous nous installâmes à nos places respectives. On apporta le repas pour elles et le dessert pour Maximus et moi. Rien de mieux qu’un bon gâteau au miel pour conclure la journée !
    Apolina fit un bref rapport sur ses aventures en Rhénanie à mon père qui écouta attentivement. Elle ajouta qu’elle lui raconterait dans le détail le lendemain et l’Empereur approuva vivement.
    Aurelia, quant à elle, voulut se tenir au courant des nouvelles :
    - Alors, quoi de neuf Sophia ? Des entraînements, des bouquins et de la politique, comme d’habitude ?
    Elle avait toujours le mot pour plaisanter. Je rétorquai du tac au tac :
    - Evidemment, comme d’habitude. Glaive, équitation, bibliothèque, sénat et dodo.
    - Et à part ça ? demanda Apolina.
    - Il m’arrive parfois de terminer un dossier pour papa très tard dans la nuit, fis-je en jetant un regard noir à Maximus. En plus des lectures obligatoires. Je me suis mise à la philosophie.
    - Non ? Toi, la philo ? C’est nouveau, commenta Aurelia.
    - Ouais c’est ça, rétorquai-je. Et demande voir à César ce qu’il a vu cet après-midi en entrant dans mes appartements.
    Elle se tourna vers l’Empereur avec une expression de franche curiosité sur le visage.
    Il soupira :
    - Des montagnes de codex et de rouleaux éparpillés dans son bureau… tout juste si j’arrivais à marcher sans me casser la figure !
    - Malheureusement, ajoutai-je, comme il m’avait demandé de tout ranger, je ne pourrai pas te montrer…
    Nous éclatâmes de rire et mon père proposa un emploi du temps pour la journée de demain. Réveil de bonne heure, et il insista sur ce point en regardant longuement Aurelia dans les yeux. Celle-ci avait horreur de se réveiller très tôt. Ensuite, petit tour en ville, pour les achats d’anniversaire. L’après midi, nous aurions droit à quelques exercices pour garder la forme. Jusqu’au soir, temps libre. Puis dîner tranquille et coucher pas trop tard…
    Puis, quand elles eurent terminé leur dessert, je les accompagnai dans leur appartement, situé juste à côté du mien. Je leur souhaitai une bonne nuit en étouffant un bâillement et me réfugiai dans ma chambre, où Shéba m’avait attendue dès qu’elle avait terminé son gros jambon.
    Je souris en la voyant étalée sur mon lit et j’enfilai lentement ma tunique de nuit. La panthère me fit un peu de place, remplaça l’oreiller qui valsa plus loin et frotta son mufle contre ma joue. Je pris sa tête dans mes bras.
    De mon lit, je pouvais voir les constellations briller dans le ciel sans nuage. Hercule, Orion, la Grande Ourse, que de légendes y étaient représentées !
    Je songeai que cette journée méritait d’être retenue et inscrite dans un codex, identique à ceux que j’avais rangés. Et aussi que je ne risquais plus de m’ennuyer avec la venue de mes deux cousines. J’aurais peut être dû caser l’Enéide avec les autres rouleaux dans la bibliothèque…
    Shéba dormait depuis longtemps déjà, lorsque je ne pus apercevoir la Grande Ourse.
    Elle dormait depuis longtemps déjà, lorsque les criquets s’étaient tus.
    Elle dormait depuis très longtemps, lorsque la Lune, pleine, vira soudain au rouge sang…



[EDIT Leslie : Il faut que tu mettes un lien vers les commentaires ! =) ]
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MessageSujet: Re: - Aventure .::. Roman - L'Imposteur   - Aventure .::. Roman - L'Imposteur Icon_minitimeMer 5 Jan - 19:20

Voici le deuxième chapitre également version 2011 Very Happy Bonne lecture !

ROULEAU II

    2 Mars 190, Rome.
    Je me réveillai en sursaut, alors que le soleil avait déjà entamé sa longue course semée d’embûches. Shéba ouvrit les yeux d’un air encore ensommeillé, voulant savoir de quoi il retournait. Je la rassurai, disant que ce n’était rien, tout en caressant sa frimousse. Cependant, dans un coin de ma tête, une voix me disait qu’un détail clochait. Enormément.
    Il y avait quelque chose de bizarre dans l’air.
    Et cela m’inquiétait.
    Etait-ce la Lune, hier soir, qui était devenue rouge sang qui m’effrayait ?
    Etait-ce un mauvais présage ?
    Et fallait-il s’attendre à un événement grave qui risquait de changer notre existence ?
    Pour oublier cette étrange angoisse qui s’emparait progressivement de moi, je décidai de réveiller Aurelia. Quand nous étions plus petites, nous nous amusions à nous sortir du lit mutuellement. Donc il fallait se lever la première pour ne pas avoir droit au seau d’eau ou aux chatouilles…
    Le problème de ma cousine, c’était que, depuis la tentative d’assassinat de son propre père, elle était devenue un tantinet paranoïaque – ce qui, entre nous, était compréhensible. Depuis ce funeste soir, donc, elle ne dormait que d’un œil, mais en plus de cela, elle planquait quelques armes tranchantes et plutôt mortelles sous des coussins. Alors, forcément, j’avais rapidement oublié cette bonne habitude de la réveiller en sursaut, notamment après quelques égratignures mémorables.
    Je me redressai avec détermination néanmoins, me choisis une tunique bleu ciel et accrochai le fourreau de mon glaive à la ceinture. Je me tournai vers mon miroir et arrondis les yeux de surprise. J’avais l’air un peu trop dangereuse, dans le genre la fille de l’Empereur qui en tenait de son père question mauvaise humeur. Je tentai alors un sourire. Résultat très moyen par rapport à ce que j’avais attendu : j’avais l’air encore plus sadique que Maximus quand il s’apprêtait à cogner un « imbécile », comme il disait ! Les cernes et ma chevelure désordonnée y étaient certainement pour quelque chose.
    Après un grognement qui imitait ceux de ma panthère, je sortis dans le péristyle, petit jardin secret caché entre les bâtiments du palais, qui reliait les appartements de mes cousines, de mon père et du mien. Les appartements de l’Empereur se trouvaient à l’étage, pile en face de moi. Quant à mes cousines, elles logeaient juste de l’autre côté du mur de mon bureau.
    Les oiseaux chantaient diverses mélodies orchestrées par le souffle du vent dans les feuilles des oliviers, des orangers et des citronniers du péristyle, dont le centre était occupé par un bassin où des poissons de couleurs multiples nageaient au gré de leurs envies. De l’eau surgissait d’un jet au milieu de l’étang.
    Je bifurquai à gauche pour trouver la fenêtre de la chambre de Aurelia. Le rideau couleur pêche était ouvert et je pouvais voir ma cousine dormir paisiblement. C’était bien la première fois depuis des années qu’elle sommeillait ainsi. Retenant ma respiration et mon envie subite de lâcher un commentaire inutile, je franchis le pas de l’ouverture.
    Ensuite, avec un grand sourire – débile – sur mes lèvres, j’avançai en direction de la jeune fille. Elle n’avait eu aucune réaction, disons, violente, jusqu’à présent. Le pire ne faisait que commencer… je me penchai sur elle et lui soufflai à l’oreille :
    - Bonjour, cousine ! Il faut se lever, le soleil s’est levé depuis longtemps et il fait un temps magnifique là dehors…
    Elle ne broncha pas. Bizarre, normalement elle aurait déjà dû se réveiller en sursaut et hurler de rage. Je sortis mon glaive à moitié ; cela produisit un bruit métallique bien particulier. J’ajoutai en imitant mon père quand il prenait sa voix autoritaire d’Empereur, avec un petit fond de sadisme dans le ton :
    - Si tu ne te lèves pas immédiatement, un glaive tranchant pourrait atterrir dans ta gorge par inadvertance.
    - Noon ! hurla ma cousine qui avait, d’un coup, retrouvé sa paranoïa. Pas la gorge, pas la gorge !!
    - Contente de t’entendre, rétorquai-je.
    Elle se tourna vers moi, surprise de me voir. Elle ne devait certainement pas s’attendre à se faire jeter du lit par sa cousine.
    Elle souffla un bon coup avant de répliquer sarcastiquement :
    - Je déteste tes plaisanteries. Je trouve qu’elles sont de plus en plus de mauvais goût.
    - C’est mon père qui déteint sur moi, fis-je avec un sourire innocent.
    - Je vois ça… pourquoi m’as-tu réveillée ?
    - J’avais envie d’être de bonne humeur.
    - Ce n’était pas le cas quand tu t’es levée, je présume ?
    - Un petit nœud dans le ventre qui ne voulait pas se dénouer.
    Je n’osais pas lui révéler mes inquiétudes à propos de la Lune ni de mon réveil en sursaut de peur qu’elle se moque de moi, n’ayant aucune envie d’être ridicule de grand matin.
    Je sortis pour laisser ma cousine se vêtir tranquillement. Les cris de Aurelia avaient animé la curiosité de mon autre cousine Apolina, qui, visiblement, était debout depuis longtemps. Elle voulut savoir ce qu’il se passait et nous répondîmes en chœur que les vieilles habitudes recommençaient déjà. La jeune fille, d’un an notre aînée, n’en demanda pas plus et leva les yeux au ciel avant de faire un tour aux jardins avec moi, qui en avait profité pour reposer les armes à leur emplacement d’origine.
    Apolina était et avait toujours été la plus grande de notre bande. C’était une jeune fille aux longs et bouclés cheveux auburn et aux grands yeux ambrés. Son cœur était aussi immense que sa taille, sinon plus, ce qui n’était pas peu dire. Elle avait hérité de sa mère Tiberia la délicatesse de son visage, son teint doré et son calme olympien. Son père revivait à travers elle grâce à son regard perçant mais compréhensif et à ses épaules suffisamment fortes pour partager les lourds fardeaux des autres. Et aussi à son optimisme indestructible. Je me demandais souvent comment elle faisait pour ne jamais désespérer.
    Nous nous arrêtâmes au bord du bassin pour regarder les poissons s’enfuir à notre approche. Les lys, les orchidées, les roses et les fleurs de nénuphars nous offraient leurs parfums avec volupté. La vie printanière reprenait enfin.
    Apolina soupira et déclara avec un demi-sourire :
    - Cela me fait du bien de retrouver la chaleur apaisante de Rome… la Rhénanie, d’accord, mais le froid devenait insupportable !
    - Je te crois, fis-je. Quant à moi, cela me change de l’obscurité de la bibliothèque. Alors, c’était comment, là haut ?
    - Glacé…
    - Je m’en étais doutée, merci, rétorquai-je.
    - Je veux dire que les ennemis étaient aussi gelés que leur pays. Ils ont refusé toute négociation. Ils ont même insulté ton père.
    - Ne le lui dis pas, il risque de faire exploser le palais. Avec quoi, je ne sais pas encore, mais il trouvera rapidement.
    La venue de Aurelia conclut la conversation par un regard complice.
    La troupe au complet, nous nous dirigeâmes vers les écuries, où l’Empereur devait déjà nous attendre en grommelant. Les chevaux étaient sûrement prêts et les Gardes Prétoriens certainement nerveux, comme à chaque sortie de la famille impériale.
    Aurelia, qui avait trois mois de moins que moi – ça l’énervait au plus haut point d’être la cadette –, était revêtue d’une tunique bleu cobalt qui mettait en avant ses yeux de même couleur. Sa longue chevelure blonde renforçait son regard vif et brillant, ses fossettes indiquaient qu’elle aimait rire et son corps fin cachait son dynamisme plutôt hors du commun pour une fille de notre âge. Elle aussi avait droit aux enseignements de Maximus. De plus, nous nous ressemblions beaucoup, caractériellement.
    Nous arrivâmes à notre lieu de rendez-vous. L’Empereur était là, vêtu d’une tunique vermeille descendant jusqu’aux genoux et sa couronne de lauriers sur la tête. Deux bracelets recouverts de feuilles d’or ornaient ses poignets et, tout comme nos chers accompagnateurs, avait sa lame à la ceinture.
    Les chevaux, dans leur harnachement d’apparat, nous attendaient près du portail. N’étant pas habituées à des déplacements en litière, qui nous ralentiraient et qui étaient d’un inconfortable désagréable, nous préférions encore la selle. Nous les enfourchâmes donc avec bonne humeur et partîmes dans Rome, accompagnés des soldats. Nous marchions tout droit vers le Colisée en traversant la via qui débouchait sur la Meta Sudans, la fontaine en forme de cône recouvert de marbre dont l’eau coulait depuis le sommet et était recueillie dans un grand bassin entouré de statues de bronze.
    L’amphithéâtre resplendissait de lumière dans sa couleur jaune pâle. A gauche s’élevait le Temple de Vénus et de Rome, dont nous ne voyons que l’arrière et droit devant nous se dressait le colosse de Néron. Nous bifurquâmes à gauche, juste avant le temple, et nous nous retrouvâmes sur la Via Sacra qui traversait le Forum Romanum.
    Une foule de gens nous regardèrent passer. Nous aperçûmes la maison des Vestales à gauche et le Temple d’Antonin et de Faustina à droite. Nous longeâmes ensuite l’enclos sacré et la statue équestre de César, à qui mon père fit un signe de tête discret. Puis, entre la basilique Aemilia et la Curie, nous empruntâmes une autre route pour aller au marché de Trajan. Maximus n’oublia pas de saluer la foule en délire.
    Celle-ci paraissait ne rien connaître des actualités étrangères. En effet, malgré les portes fermées du temple de Janus (ce qui signifiait un temps de paix), en Germanie, la guerre se préparait. Une rébellion avait eu lieue il y a quelques mois au Moyen-Orient, et la famine régnait en Egypte depuis trois ans déjà. De plus, la peste faisait rage dans certaines contrées de l’Empire. Or, tout le monde acclamait le règne de l’Empereur, prospère selon eux.
    Question politique, il était vrai que Maximus favorisait la plèbe à l’aristocratie ; visiblement, mon père tenait cette dernière en grippe. Il avait le soutient de l’armée du fait de sa popularité gagnée au combat – rares étaient les batailles perdues avec lui – et l’appui du peuple romain grâce à son éloquence. Le Sénat se pliait à ses volontés – plus pas peur que par allégeance – et les nobles de la cité devaient alors suivre le mouvement. Mais il était clair que les ennemis ne manquaient pas. Il fallait ajouter, par ailleurs, que la plupart des patriciens étaient de véridiques lèche-sandales, toujours affamés de privilèges et avides de pouvoir et d’argent. Dur, dur, donc, la vie d’Empereur.
    Nous étions arrivés au marché de Trajan, qui était composé de cinq étages. Maximus en tête – il connaissait les galeries par cœur – nous le suivîmes avec curiosité. Construit en briques, le marché avait une jolie teinte rouge mais jusqu’au linteau des portes étaient peintes des fresques de multiples couleurs. Vu qu’il était inhabituel de traverser l’endroit à cheval, nous descendîmes de nos montures et les laissâmes en compagnie de quatre soldats.
    Nous étions dans une allée où les marchands de dattes, de légumes, de fruits, d’huile, de poisson et de viande se côtoyaient. Mon père monta à l’étage en nous faisant signe de ne pas le perdre de vue. On m’expliqua qu’au cinquième niveau, la bourse fixait les prix et les taux ; qu’au quatrième les potiers, les verriers, les forgerons, les tanneurs et les tailleurs de pierre, bref, tous les artisans travaillaient, mis à par les orfèvres qui étaient un étage plus bas en compagnie des bijoutiers, des teinturiers et des revendeurs de tissus et de vêtements. On ajouta aussi, plus bas, que le niveau préféré de l’Empereur était le second, du fait des marchands d’armes, d’armures et autres qui s’y trouvaient.
    Dans les escaliers, Maximus me jeta un coup d’œil et fit un bref signe de la main afin que je le rejoigne. Je le rattrapai prestement, laissant mes cousines plus bas. Mon père me demanda avec un grand sourire aux lèvres :
    - Alors, ma petite chouette, tu as déjà réfléchis à ce que tu voudrais pour ton anniversaire ?
    - Déjà, rétorquai-je, ne m’appelle pas « ma petite chouette » devant tout le monde. Ensuite…
    - Tu as honte de moi ? coupa-t-il, hilare.
    - Un peu. Je disais donc…
    - Bah quoi ? L’Empereur a le droit d’appeler sa fille chérie comme bon lui semble, que je sache ! continua-t-il, toujours en me coupant la parole. Et puis…
    - Papa… parfois, tu m’énerves.
    Il éclata d’un petit rire caverneux, voire nerveux ; toutefois je sentais qu’il n’avait plus du tout envie de rire. Je m’en voulus aussitôt d’avoir dit cela, bien sûr il y avait des hauts et des bas, mais ces trois mots, je ne les pensais pas. Même s’il m’agaçait parfois. Il était mon unique famille, exceptées mes cousines.
    - Désolée, bredouillai-je alors. Je ne voulais pas dire ça. Excuse-moi.
    - Mmm… ce n’est rien, marmonna-t-il. Bien, qu’aimerais-tu pour tes quinze ans ?
    - Ben, cette fois, on pourrait investir dans ma protection. Quelque chose d’utile, quoi.
    Il se renfrogna quand il entendit le « on ». Je n’arrêtais jamais de le taquiner en disant que moi aussi, je pouvais participer à l’achat, bien qu’il fût l’Empereur et qu’il eût tout l’argent qu’il voulût.
    Il répliqua :
    - D’abord, c’est ton anniversaire et, à part tes vêtements, tu n’as pas de quoi payer sur toi. En plus, des gardes du corps, tu en as déjà autour de toi toute la journée, moi y compris.
    - Je ne parlais pas de ça ! m’exclamai-je. Je parlais de quelque chose qu’on peut mettre sur soi. C’est plus pratique quand on est seule.
    - Tu as peur des ombres du palais ? répliqua-t-il avec sarcasme.
    - N’importe quoi. Dis tout de suite que je suis froussarde.
    - Tu es fr… commença-t-il avec un sourire aux lèvres. Non, tu es téméraire.
    Nous nous lançâmes un sourire complice, puis il conclut :
    - D’accord. Je ne peux rien te refuser, enfin presque. De plus, tu ne me demandes jamais rien, d’habitude.
    Nous étions arrivés à l’étage des armuriers, des marchands d’armes et des tavernes. Mes cousines et les Prétoriens nous avaient rejoints entretemps. Je remarquai qu’Aurelia allait déjà se jeter sur un étalage d’arcs, quant à Apolina, elle attendait de redescendre pour certainement aller à la bibliothèque ou chez un bouquiniste.
    Maximus fit un bref signe de tête au centurion de l’escorte, qui donna quelques ordres à mi-voix à ses camarades. L’Empereur autorisa mes cousines à se balader aux grés de leurs envies, toutefois accompagnées de deux soldats. Nous nous séparâmes alors et j’avais plus ou moins raison : Aurelia se jeta bien sur les arcs et Apolina retourna au rez-de-chaussée. Quant à moi, je suivis mon père qui connaissait un bon armurier. Quelques personnes nous dévisageaient lentement avant de retourner à leurs activités.
    Les galeries étaient à l’abri des intempéries grâce aux hauts portiques décorés ; je remarquai que des fenêtres se trouvaient juste au dessus des passages des échoppes. Une balustrade se dressait en face pour éviter de tomber bêtement et nous pouvions voir celle du troisième étage car il se trouvait au dessus des boutiques, comme une sorte d’escalier. Les architectes de Trajan avaient bien conçu les choses.
    Nous entrâmes dans un magasin où des cuirasses étaient exposées ; un jeune homme de la vingtaine gardait le comptoir. Maximus le salua comme s’il s’adressait à un ami et son interlocuteur ouvrit de grands yeux ronds éberlués. L’Empereur appuya ses poings sur la table et demanda où se trouvait l’armurier.
    - Je vais l’appeler, bredouilla le jeune homme.
    Sur ce, il partit précipitamment dans l’arrière boutique et revint un instant plus tard avec un homme d’âge mur, de la quarantaine peut-être, aux cheveux bruns et courts et au regard vert. Assurément, c’était lui l’artisan, avec une musculature pareille… Il reconnut l’Empereur et s’inclina bien bas. Mon père me lança un regard amusé ; j’étais pratiquement sûre qu’il était intérieurement mort de rire. Heureusement, il n’en laissa rien paraître.
    L’homme me jeta un coup d’œil sans faire de commentaires, puis s’adressa à mon Empereur de père :
    - Salut à toi, Maximus. Je ne pensais pas recevoir ton Auguste visite.
    - Ce n’est pas grave, Caïus. Les nouvelles sont-elles bonnes ?
    - Parfaites, Sire. Ma femme vient d’accoucher dernièrement. Une petite fille. Elle s’appelle Flavia.
    Ils se connaissaient ?! Bon sang, j’en croyais pas mes oreilles ! Ils se parlaient familièrement et maintenant, ils commençaient avec les potins et la routine… pas possible, par Minerve !
    - Que puis-je faire pour toi ? demanda Caïus, soudainement plus sérieux.
    - Je ne suis pas venu pour moi mais pour mon rayon de soleil, fit-il.
    Je levai les yeux au ciel. Ce n’était pas l’endroit du tout pour une déclaration d’amour ! Le jeune garçon, qui était resté à côté de Caïus, avait remarqué mon expression d’agacement et dut se mordre les lèvres pour ne pas éclater de rire.
    Mon père me prit par les épaules et déclara :
    - Cette jeune lionne aimerait quelque chose ressemblant à une armure pour son anniversaire… super original, ajouta-t-il plus bas à l’intention de son ami.
    - Je vois, fit Caïus. Je commence à avoir l’habitude, maintenant.
    - C’est vous qui… commençai-je, surprise.
    - … qui ais fait ces quelques protections de cuir à la demande expresse de l’Empereur, oui.
    - Nom de… m’exclamai-je.
    Pour m’empêcher de terminer ma phrase, Maximus m’écrasa le pied pendant une seconde et demie, ce qui suffit amplement à la douleur pour monter d’un coup. Le rustre ! Je lui envoyai un regard noir, qu’il ignora superbement. Ce n’était pas parce qu’il avait une tête et demi de plus que moi qu’il devait se croire tout permis, par les dieux ! D’abord mon nez, et ensuite mon pauvre pied !
    Caïus nous emmena vers l’arrière boutique et s’équipa d’une ficelle. Il me prit les mesures nécessaires et nous demanda les caractéristiques que devaient avoir la cuirasse. Léger, pratique, résistant… mon père n’en omit aucune et en ajouta même qui ne m’auraient jamais traversé l’esprit.
    Maximus régla d’avance la note et souhaita bonne chance à son ami. Puis, juste avant de traverser le pas de la boutique, il s’arrêta soudainement, se retourna et déclara :
    - J’exige que ce soit prêt pour ce soir dernier délais !
    - Aucun problème, César et sa fille serez comblés !
    Nous partîmes alors vers le reste de la galerie. Nous montâmes d’un étage, le favori des femmes, spécifia mon père avec un soupir. Aurelia y flânait, et un de ses gardes portait quelques paquets dans les bras. Maximus me demanda de la rattraper tandis qu’il allait vérifier quelque chose.
    De riches patriciennes se baladaient, vêtues de leurs plus beaux atours. Certaines me jetaient des regards révoltés quand elles voyaient ma coiffure simple et ma tunique descendant peu en dessous des genoux. D’accord, je m’habillais… différemment, mais j’avais le droit de faire ce dont j’avais envie, non ? Aurelia faisait exactement la même chose. D’accord, avouons qu’elle n’était pas vraiment un modèle à imiter…
    Ma cousine me scruta quand j’arrivai et nous allâmes regarder les magasins des bijoutiers, en bons caprices de filles. Puis nos pas nous menèrent vers les tailleurs, avant de nous faire surprendre par Apolina qui se trouvait dans une des échoppes, en train d’effectuer une transaction. Elle nous expliqua qu’elle revenait d’une bibliothèque à côté de la colonne de Trajan et qu’ensuite elle était montée ici.
    Un court instant après, Maximus nous rejoignit avec un petit sourire mystérieux aux lèvres. Nous décidâmes alors de rentrer au palais et nous retrouvâmes le restant de soldats avec les chevaux.

    Il était plus de midi quand nous étions rentrés. Après avoir amené les montures à l’écurie, nous prîmes un repas léger avant d’aller dans les jardins du Palatin. Quelques cygnes se trouvaient là ainsi que des canards sauvages chassés par Shéba qui était avec nous.
    Nous nous assîmes par terre et nous mîmes à discuter, d’abord de tout et de rien, puis d’un sujet qui ne me plaisait pas vraiment : nos futurs fiancés.
    Etant fille unique de Maximus, il était de mon devoir de transmettre le relais au futur Empereur, c'est-à-dire à mon futur époux et son héritier. Le problème aurait été vite réglé si mon père avait envie de choisir un successeur lui-même, mais comme il ne le voulait pas vu qu’il ne faisait confiance à personne, c’était à moi que revenait tout le travail… comme d’habitude. Donc Maximus m’avait permis de choisir mon homme moi-même – avec intelligence néanmoins – mais pour l’instant, je n’avais jamais vraiment cherché. J’avais tellement d’occupations que j’oubliais au fil des jours qu’il fallait bien que je me dépêche.
    Nombres de prétendants s’agglutinaient devant le palais, mais soit c’étaient de vieux patriciens uniquement avides de pouvoir qui pourraient être mes grands-pères, soit c’étaient de beaux jeunes hommes arrogants qui ne savaient strictement rien en politique. En plus, ils se décourageaient dès que je leur disais que je savais manier une arme et qu’on m’avait appris la stratégie militaire. Génial. Qu’est-ce que je pouvais faire, avec ça ?
    Mes cousines non plus n’étaient ni fiancées, ni mariées, ni en couple, plus simplement. Nous étions trop indépendantes, trop intelligentes peut être, et surtout, bien trop agaçantes.
    Une fois, après avoir trop forcé la dose, mon père avait plaisanté en déclamant que le futur dirigeant de l’Empire, ce serait moi. Tous les gens aux alentours n’avaient pas apprécié du tout. Enfin, heureusement qu’il plaisantait, sinon j’aurais été morte de honte. Ou de trouille, c’était au choix. C’était impossible. Les gens étaient bien trop machos pour accepter une chose pareille. De plus, tout le monde me disait d’arrêter de me comporter comme si j’étais un… un homme, de cesser les entraînements aux armes, les cours de politique et de stratégie et de m’habiller convenablement. Et surtout, d’arrêter de courir dans tout le palais. Il y avait seulement mon très cher Empereur de père qui ne disait rien ; de toute manière, lui aussi n’en faisait qu’à sa tête.
    Le reste de l’après-midi se passa au stadium, où nous faisions varier escrime, tir à l’arc et équitation.
    Aurelia était devenue mon adversaire pour un temps. Apolina, quant à elle, nous regardait faire et testait quelques nouveautés. Je voulais voir si ma cousine avait progressé ; la dernière fois que nous avions combattus, elle s’était fait battre à plate couture et s’était retrouvée… dans le sable.
    Elle fut la première à lancer l’initiative de l’attaque en pointant sa lame vers ma tête. Encore une qui faisait tout et n’importe quoi ! C’était contraire aux règles et très dangereux ! Elle voulait m’embrocher la poire et s’en servir comme d’un trophée, ou quoi ? Heureusement que j’étais rapide ; je l’évitai, me retournai et balançai ma lame sur la sienne de toutes mes petites forces.
    Le choc fut rude mais nous tînmes bon toutes deux. Apolina se boucha les oreilles. Je n’eus pas le temps de lui rétorquer une tirade sarcastique puisque mon autre cousine rappliquait déjà. Je feintai en me baissant, roulai à terre et me relevai derrière elle. Elle se retourna vivement avec un soupir d’exaspération du fait de mon ingéniosité pour trouver plein de nouvelles attaques, puis nous échangeâmes quelques coups rapides avant que je trouve une faille, la face tomber à l’aide de mon glaive – elle fit un magnifique salto arrière en criant de surprise – et pointai celui-ci vers son nez. Cela n’avait duré que quelques secondes.
    Vu sa tête, elle n’était pas ravie d’avoir encore perdu. Ben, zut alors, elle allait me découper en rondelles… moi qui n’avais pas envie de finir dans l’assiette de Shéba la panthère…
    Après un regard noir – je n’allais tout de même pas la laisser gagner pour lui faire plaisir quand même – elle haussa les épaule et se détourna pour marcher droit sur une cible. Elle savait bien que Maximus me faisait chi… hum, m’entraînait tous les jours à ce type d’exercice.
    Je rangeai le glaive dans son fourreau et me dirigeai vers une fontaine pour m’y désaltérer. Alors que je prenais un verre afin de le remplir d’eau, je remarquai une ombre se profiler derrière les colonnes. Je fronçai les sourcils, indignée : qu’est-ce que c’était encore ?
    Après avoir bu d’un trait le contenu du verre, je retournai auprès de mes cousines, regardant les colonnes du coin de l’œil, sur mes gardes. Je leur demandai, si, par tout heureux hasard, elles avaient remarqué quelque chose :
    - Non, on se concentrait sur nos cibles, fit Aurelia.
    - A mon avis, tu as dû rêver, ajouta Apolina.
    - Mouais, conclus-je, pas convaincue du tout.
    Elle allait ajouter quelques mots, mais elle n’en eut pas le temps : trois hommes armés et casqués sortirent tout droit du champ de colonnes, là bas même où j’avais vu une ombre suspecte. Ils déboulèrent vers nous avec détermination et sortirent des… choses coupantes.
    Ouh là, ça n’annonçait rien de bon, tout ça !
    Qu’avaient-ils l’intention de nous faire, là ? Ils se rapprochaient fichtrement vite, et choisirent de nous diviser ; ce ne fut pas difficile puisque nous étions déjà éloignées. Aurelia banda son arc armé d’un trait, montrant par là qu’elle n’avait pas envie de plaisanter s’ils n’étaient pas de gentils rigolos. Ce n’en étaient pas.
    Nous nous rendîmes compte qu’ils avaient peut-être l’intention de vraiment nous attaquer pour… nous faire disparaître. Ils allaient se ruer sur nous quand Aurelia libéra sa flèche, qui partit d’un coup pour se ficher dans l’abdomen d’un des trois individus. Celui ci tomba à la renverse en étouffant un cri et plausiblement un juron. Ma cousine, rapide comme l’éclair, avait de nouveau armé son arc, et lâcha une nouvelle fois la corde pour en finir.
    Vu la tête des deux autres, ils n’étaient pas très contents d’avoir perdu leur compagnon.
    Zut alors.
    Aurelia, que j’avais pensé sereine en la voyant tirer, avait plus une tête blafarde et des yeux effarés. Les hommes nous assaillirent ; j’empoignai une lame précipitamment tandis qu’Aurelia alertait les secours à qui voulait bien l’entendre. Apolina m’imita alors qu’un des agresseurs lui tombait dessus.
    Le dernier me chargea, l’air résolu. Un éclair métallique apparut et frappa la lame que j’avais levée par pur réflexe. Les coups s’additionnaient sans que je réfléchisse ; j’étais affolée sans savoir pourquoi. Mon instinct de survie y était sans doute pour quelque chose… je me rendis compte de j’avais… la frousse. Peur d’être blessée. Peur de souffrir. Peur de… mourir, seule dans mon coin, alors que personne ne venait nous secourir. Si c’était ça mon destin, eh bien crachons les mots tels qu’ils me venaient : il était vaseux, pourri, sans originalité ! Alors que je feintais, je commençais à me révolter contre cette idée : c’était à moi de décider de ma vie, pas à ces inconnus, par Jupiter !
    Tous les préceptes de mon père apparurent devant mes yeux tandis qu’une force inconnue s’emparait de mon bras ; l’épée vibra de colère en s’abattant sur celle de mon adversaire. Mon ennemi. Celui-ci répliqua aussitôt, m’obligeant à parader, à ruser ; je voulais d’abord le désarmer : ma raison, en effet, me disait qu’il pourrait être ainsi interrogé. Mais deux facteurs m’empêchèrent de me tenir à ce plan : ce type voulait me tuer, or je ne le connaissais pas et ne voyais pas pourquoi il en aurait envie, sauf s’il était payé, dans ce cas il ferait tout pour palier à son objectif, peu importait la manière, et surtout, ma suprême volonté de vivre prit les devants sur la logique. Je finis par lui décorer le torse d’une ligne d’horizon vermeille ; sa tunique s’imbiba immédiatement du sang qui coulait. Mais l’homme se jeta sur moi, alors sa lame glacée perça ma chair. Lâchant un cri de terreur – je n’aurais jamais cru être capable d’une telle prouesse vocale –, je rampai en arrière pour éviter que le métal ne me transperce à nouveau, au ventre cette fois, puis roulai sur le côté et, dans un ultime espoir de cet ingrat besoin de connaître d’autres aurores, voyant qu’Aurelia ne pouvait rien faire sans risquer de me blesser et que les Prétoriens étaient encore loin, j’abattis mon arme en fermant les yeux.
    Un bruit de chair transpercée retentit, un « sprotch » sanglant qui gicla à mes oreilles. Je sentis un liquide bouillant suinter sur ma main droite ; j’ouvris les yeux et aperçus la garde du glaive dépasser des flancs de l’agresseur étendu sur le dos, qui lâcha un râle d’agonie déjà funèbre. Un garde surgit dans mon champ de vision, ce soldat tentait de me relever et de me sortir de ma torpeur, mais mes muscles ne répondaient plus.
    Je lançai un œil vers Apolina, qui aidée de notre cousine et du second garde, put immobiliser le dernier individu. Cependant, il réussit à s’emparer d’une flèche perdue et se l'introduisit violemment dans la gorge, préférant le suicide à l’interrogatoire.
    Je me relevai tant bien que mal, ma main toujours crispée sur la poignée de l’épée que je retirai de la masse inerte étendue devant moi, et me dirigeai vers mes cousines, murmurant piteusement à Apolina :
    - Qui a dit que j’ai rêvé ?
    - Personne, assura-t-elle.
    Nous ne pûmes en dire plus et tombâmes dans les bras l’une de l’autre.
    Aurelia était hébétée, Apolina, secouée ; toutes les trois étions choquées plus par la surprise de l’attaque que par le sang. De plus, j’étais blessée : mon bras avait été touché et salement décoré d’une longue ligne ensanglantée.
    La lune avait eu raison... et je n'avais pas écouté ce présage, alors que j'aurais dû me tenir sur mes gardes.
    J’aperçus mon père arriver à grandes enjambées, accompagné d’autres soldats. Il accourut vers moi comme au ralenti et me prit dans ses bras ; je m’y laissai aller, sans rien dire. Maximus lança quelques ordres dont je ne compris pas la teneur, puis me glissa des mots de réconfort à l’oreille. Seulement un mot put franchir la barrière de mes lèvres :
    - Pourquoi ?
    - Je ne peux pas encore te répondre, ma chouette, fit-il, navré.
    Quelques temps après, nous avions évacué le stade, cependant que l’Empereur jetait un rapide coup d’œil sur feu nos agresseurs. Il était d’une rare colère noire, courroux qui ne s’atténuerait pas facilement, si bien qu’il avait commencé… à hurler. J’étais dans mes appartements à me remettre piteusement de mes émotions, ayant été soignée par le médecin personnel de mon père, en savourant un thé brûlant quand le rugissement de rage impérial retentit et résonna à travers les murs du palais. Un frisson glacé me parcourut l’échine, que la chaleur de la boisson n’apaisa pas. L’interminable cri de fureur fut suivi d’un lourd silence inquiétant.
    Cela faisait quelques minutes déjà qu’on n’entendait plus aucun bruit sur la colline du Palatin ; Rome elle-même paraissait figée dans cet instant de mutisme. Seuls les oiseaux étaient dotés d’un semblant de vie. Je me résolus à aller à sa rencontre, il se trouvait certainement dans l’Aula Regia, la salle du trône.
    Je l’y trouvai justement, tournant furieusement en rond tel un fauve en cage – la pièce étant d’une taille conséquente, il ne devait pas avoir le tournis. Il pila net lorsqu’il constata ma soudaine présence. Son regard habituellement bleu avait viré aux obscures ténèbres qu’il ressassait depuis l’accident. La mâchoire crispée et les muscles de ses bras contractés, il était certainement prêt à tirer sa lame et à l’abattre sur le premier insensé.
    Il s’assit alors sur le trône, surplombant le reste de la salle du haut de l’estrade. Je m’approchai en remarquant qu’il reprenait peu à peu ses esprits.
    - Comment vas-tu ? demanda-t-il sombrement.
    - Je me suis déjà sentie mieux, répondis-je. Rien que pour mes oreilles.
    Bien que la situation ne le permît pas, il s’octroya un petit sourire.
    - Je ne souhaitais pas ce qu’il s’est passé. Comment a-t-on pu laisser passer ces individus ? Pourtant tous étaient à leur poste ; je ne comprends pas. C’est… c’est… c’est inacceptable !
    - Ne t’énerve pas, s’il te plaît.
    - Facile à dire. Tu aurais pu… mourir. Et tes cousines aussi. On t’a blessée, la lame aurait pu t’atteindre autre part. Je n’étais même pas là pour vous secourir.
    - Ce n’est pas de ta faute.
    - Si, un peu quand même. J’aurais dû vous accompagner. Au lieu de cela je tenais un conseil des finances des plus barbants !
    - Les finances, c’est aussi important, pour l’Empire, répliquai-je doucement, sachant bien que cette discipline ne l’intéressait guère.
    Il eut un long soupir et j’en profitai pour m’asseoir sur ses genoux et ainsi le réconforter.
    - Ça ira mieux, je te le promets. Je suis juste choquée parce que nous avons failli y passer.
    - Tu es sûre ? demanda-t-il. Tu n’as pas envie de vomir ?
    - Non, pas pour l’instant. Ça va aller, je te dis. Par contre j’aimerais savoir si tu aurais quelque intuition sur l’identité de ces personnes et pourquoi ils sont venus. Ce n’est certainement pas tes copains, pas la peine de le dire.
    - En parlant de copains, ton armure est arrivée.
    - Arrête de changer de sujet, papa.
    - Bien sûr. Je suppose qu’ils agissaient pour le compte de quelqu’un, et dans ce cas, qui que ça puisse être, il se retrouvera forcément avec mon glaive entre les deux yeux. Je peux aussi te dire que voir la peur dans ses prunelles me fera un bien intense…
    - Beurk, lâchai-je sans oser imaginer la scène. Alors nous trouverons cet homme, et nous lui ferons justice.
    - Très bien parlé, ma petite Sophia.
    Il éclata de rire en m’entendant grommeler l’habituel et l’inlassable « Je ne suis pas petite ! ».

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